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Young_Nelson RS

Un vieux marin britannique, l’amiral Thomas Cochrane (1775-1860) notait dans ses mémoires, bien longtemps après la mort de son collègue Nelson que celui-ci lui avait dit :

« Never mind manœuvres, always go at them ! » (Peu importe les manœuvres, foncez-leur dessus !)

Ces propos donnent sans doute à l’illustre vainqueur de Trafalgar tout son charme posthume de tacticien non conventionnel et un brin tête brûlée, mais omettent un détail, judicieusement noté par un commentateur : Nelson maîtrisait déjà parfaitement les manœuvres et sa longue expérience lui permettait de passer outre certaines longueurs de méthode.

L’amiral Thomas Cochrane
Richard Bentley – Dibner Library of the History of Science and Technology

Au cours des siècles, la marine est devenue une arme savante par excellence. En effet, plusieurs sciences s’y trouvent combinées (maniement des bâtiments, des escadres, technique des armes embarquées, connaissance d’un élément capricieux, gestion humaine, etc.), allant en se complexifiant et de leurs maîtrises dépendait l’efficacité militaire de celle-ci.

Par conséquent, avec l’ambition navale est rapidement né le besoin de former les élites dirigeantes (un corps d’officiers) et les marins.

Je réalise ce petit article pour donner un peu de contexte au récit de Maurice Rollet de l’Isle, qui sera appelé à sortir au début de cette année. En effet, l’auteur est élève ingénieur (hydrographe) de la Marine nationale et raconte une de ses toutes premières campagnes à bord de la frégate mixte La Flore. Entouré d’aspirants de l’Ecole navale, il va passer de longs mois en mer, traversant l’Atlantique d’un bord à l’autre pour finalement revenir en France par Gibraltar et réaliser un petit tour de Méditerranée.

Midshipman (élève officier) de la Royal Navy
Thomas Rowlandson- National Maritime Museum

La Marine militaire : un corps clivé sous l’Ancien Régime

Face à l’impressionnant développement maritime que connaît ses voisins, la France réagit par l’intermédiaire du cardinal de Richelieu en dotant le royaume, jusqu’à là de tradition principalement terrestre, d’une marine militaire qui puisse avoir des chances de concurrencer ses rivaux et ses ennemis.

Jusqu’alors, le roi se contentait essentiellement de payer des privés pendant un temps donné lorsque le besoin d’intervenir sur l’eau se faisait sentir. Le danger passé, chacun reprenait ses activités. Avec ce changement, le pays commence à avoir une force navale propre et permanente, soldée par l’Etat.

Le cardinal crée donc en 1627 les compagnies de « Gardes du Grand Maître de la Navigation » (les Gardes-marine), embryon de corps d’officiers marins. Nobles pensionnés sur le Trésor royal, ils se forment principalement sur le tas, embarquant comme enseigne sur des vaisseaux en manœuvre et montant dans la hiérarchie au gré de leur carrière.

Basés à Brest, Toulon et Rochefort, les Gardes ont cependant la réputation d’être indisciplinés, arrogants, quoique braves à l’action, et absolument dénués de connaissances théoriques.

« Les Lys fleurissent dans les vagues »
Estampe allégorique représentant le royaume de France sous la forme d’un vaisseau – Gallica

Quelques établissements spécialisés (hydrographie, artillerie, etc.) voient ainsi le jour au cours du XVIIe siècle, et deviendront souvent des écoles royales sous Colbert et ses successeurs, à l’image de l’école d’hydrographie de Dieppe, dirigée par l’abbé Denis, dans laquelle des marins comme Jean Doublet iront compléter leurs connaissances. Mais leur fréquentation n’est pas obligatoire.

Si les formations tendent à s’institutionnaliser, elles n’ont rien d’un parcours réglé et la noblesse garde la main haute sur les postes de commandement. En effet, la plupart du temps les officiers commandant un vaisseau ne doivent leurs positions qu’à leur naissance et se révèlent souvent incompétents en matière de marine. Ils sont pour cela épaulés par des gens du métier, d’un rang social inférieur, mais en revanche marins chevronnés qui, à titre de pilote ou de maître, sont les véritables commandants du bord.

En 1757, le ministre de la Marine Peyrenc de Moras renforce le clivage en donnant des uniformes rouges aux officiers issus des gardes (nobles) et bleus à ceux issus de la marine de course, de commerce ou de la maistrance (roturiers). L’opposition des deux corps rendra la cohabitation souvent difficile, et ce régulièrement aux dépens du service.

L’établissement d’une école royale de Marine au Havre, fondée en 1773, n’aura qu’une bien courte vie, car elle sera fermée après deux années d’existence et on en reviendra aux gardes jusqu’à la Révolution.

Gardes-marine étudiant l’artillerie en salle sous Louis XIV
Léon Couturier – Illustration de l’ouvrage de Maurice Loir sur la Marine française.

La Révolution rebat les cartes

Quelques changements ont lieu à la fin du règne de Louis XVI, tendant à rationaliser le recrutement et améliorer la formation des officiers, mais la Révolution fait émigrer les officiers « rouges », ce qui a pour effet de faire monter les « bleus » en grade et de faire appeler ceux de « la marchande » sous les drapeaux. Les écoles se développent alors et s’ouvrent aux roturiers, le recrutement se fait sur concours, ouvrant enfin la carrière.

L’empire voit les premières écoles embarquées, combinant formations théoriques et pratiques à bord des bâtiments le Tourville à Brest et le Duquesne à Toulon.

Sur ce sujet, l’empereur s’oppose à son ministre de la Marine, Denis Decrès, plus favorable à une formation à terre :

« C’est comme si on demandait de mettre l’école de cavalerie sur un vaisseau. »

L’amiral Denis Decrès
René Théodore Berthon – Château de Versailles

Cependant, l’état de quasi-blocus maintenu par la Royal Navy sur les ports français empêche de donner toute son ampleur à cette idée, ce que Napoléon regrettera, comme il le confirmera à l’amiral Cockburn lors de son voyage vers Sainte-Hélène.

La Restauration a une approche plus politique, après une brève tentative de résurrection des Gardes, et la création d’une école à Angoulême, plus motivée par la forme que l’efficacité.

Néanmoins, en 1827, Charles X lance une école embarquée à bord de l’Orion, basée à Brest. Les élèves sont recrutés sur concours, et passent trois années à bord pendant lesquelles on leur enseigne la culture générale, les manœuvres, ou encore l’usage de l’artillerie. Des sorties en mer (appelées « corvettes ») forment la partie pratique d’une formation que clôt un examen.

En 1830, Louis-Philippe confirme l’existence de l’école, qui deviendra officiellement l’ « Ecole Navale »…dont nous parlerons dans le prochain billet.

Un élève de l’école de marine de Brest
Dessin attribué à Jean-Baptiste Isabey

Des nouvelles des livres

L’année 2023 risque de débuter avec pas mal de publications à venir. Les fêtes ont un peu ralenti l’activité, mais nous pouvons déjà annoncer les choses suivantes :

-Les Lettres et carnets de Maurice Rollet de l’Isle n’attendent plus que leur préface. Une fois celle-ci ajoutée à la maquette, un dernier passage en comité de lecture et cela partira à l’imprimerie. J’ai bon espoir d’en voir les premiers exemplaires à la fin de ce mois.

La frégate mixte La Flore
© Service historique de la Défense

-Le contrat d’édition étant signé avec Terry David, les Lettres de Cortés sont en phase de relecture finale. Une fois celle-ci terminée, nous discuterons ensemble de la forme et de l’emplacement des commentaires de Terry dans le texte. L’ambition est de faire de cet ouvrage un livre aussi bien voué à l’histoire de la conquête du Mexique, véritable prouesse politique au regard des moyens du conquistador, qu’à l’histoire des peuples d’Amérique centrale (en particulier les Aztèques et les Mayas), partie sur laquelle la collaboration de Terry sera aussi précieuse qu’essentielle.

Le livre devrait voir le jour à la fin du premier trimestre 2023.

Arrivée de Cortés
Illustration du True Story Book d’Andew Lang

-Beaucoup de nouveau du côté de l’amiral Cockburn en revanche, car il ne sera plus seul, mais flanqué du capitaine Frederick Maitland.

En effet, si Cockburn a livré un intéressant témoignage sur la présence de l’empereur déchu à bord du HMS Northumberland, alors que celui-ci l’emmenait de Plymouth à Sainte-Hélène, Maitland l’a précédé en faisant le même exercice lorsque ce dernier était à bord du HMS Bellerophon l’emmenant de l’île d’Aix à Plymouth.

Nous aimerions publier ces deux récits (en l’occurrence, traduits par la maison) l’un à la suite de l’autre, et livrer au lecteur ces étonnants récits de marins mêlés aux réflexions de l’illustre prisonnier sur son règne.

Il y a de bonnes chances pour que de volume soit prêt pour le mois de février.

Napoléon à Sainte-Hélène
František Xaver Sandmann – Château de la Malmaison

Sources

Ce qui est dit et écrit dans mes articles représente un assemblage de plusieurs hypothèses et faits dont je récupère l’essentiel sur différentes versions de Wikipedia (française, anglaise, allemande et espagnole), qui me relaient vers les travaux correspondant à ma recherche.

Ce n’est donc pas une thèse et il est tout à fait possible que je puisse me tromper lors de la rédaction. Si un lecteur venait à s’en apercevoir, il est libre de me le signaler afin que je procède à un amendement.

– http://aom-france.wifeo.com/recrutement-interne-historique.php.

– « La formation des officiers de marine : de Richelieu au XXIe siècle, des gardes aux bordaches », Patrick Geistdoerfer, 2005, Revue semestrielle d’anthropologie des techniques.

-Un ancêtre du borda au Havre : L’École royale de la Marine, Abbé Anthiaume, 1920.

-« Gardes de la marine ou Gardes de marine », dans Dictionnaire encyclopédique de la noblesse de France, Nicolas Viton de Saint-Allais, 1816.

Fondateur - éditeur

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