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En parallèle aux newsletters habituelles sur les ouvrages, et conformément à ce qui a été annoncé dans nos précédents messages, nous allons laisser la parole à quelques spécialistes sur des sujets tenant à l’histoire de la mer à travers le monde.

C’est Héraklès Citharède (lien Twitter : https://twitter.com/HeraklesCithare) qui prend la suite de Terry David, et qui nous emmène cette fois-ci en Grèce Antique. Je lui laisse la parole.

« Allez, fils d’Hellas, délivrez la patrie, délivrez vos enfants et vos femmes, les sanctuaires des dieux de vos pères et les tombeaux de vos aïeux : c’est la lutte suprême ! »

Les Perses, Eschyle.

Printemps 472. Lorsque les vers du tragédien athénien, combattant de Salamine, résonnent en écho, sur les degrés de bois du théâtre de Dionysos, au pied d’une Acropole détruite, huit années avaient passé, depuis la victoire de la flotte grecque sur la myriade des navires perses. Eschyle a su, en exposant le point de vue tragique des Perses vaincus, exalté la gloire inattendue des Grecs, face aux armées sans nombre de l’Empire achéménide. Quelles raisons poussèrent le Grand roi Xerxès, souverain du plus grand empire de son temps, à jeter toutes ses forces dans la conquête d’une Grèce minuscule et pauvre ?

Remontons encore le cours du temps. Au milieu du VIe siècle av. J.-C., le roi des Perses (Iran actuel), Cyrus II, transforme son modeste royaume en un empire jamais vu auparavant, s’étendant des portes de l’Inde à l’Égypte, de la Mésopotamie à l’Asie Mineure (actuelle Turquie), il régna sur un territoire immense et figure comme le glorieux fondateur de l’Empire Achéménide. Plus tard, Darius Ier, quatrième souverain de la dynastie et qui règne sur l’empire depuis 521, s’illustre par un règne brillant et de nouvelles conquêtes en Afrique (annexion de la Cyrénaïque, l’actuelle côte libyenne), et en Europe (littoral thrace et Macédoine), poussant même son armée par-delà les rives du Danube, jusque dans les plaines de l’Ukraine d’aujourd’hui. Mais, devant l’ennemi scythe qui se dérobe, il bat en retraite et repasse en Asie par un pont de navires que ses sujets ioniens ont gardés pour lui. Sous son règne, l’empire s’étend sur 7,5 millions de km2 et compte plus de 20 millions d’habitants. Un géant face à la petite Grèce.

Mais, en 500, les cités de la Confédération ionienne, région située sur la côte ouest de l’Asie Mineure et habitée en grand nombre par des Grecs, décident de secouer le joug perse. Après de premiers succès, la révolte s’étend à Byzance et en Carie. Athènes, qui est depuis peu une démocratie, vote pour un soutien militaire à ses cousins d’Asie. Mais le Grand roi, avec ses moyens financiers et humains inépuisables, rétablit très vite la situation et Athènes se retire discrètement. En 494, la révolte est définitivement écrasée, mais Darius n’a pas oublié les Athéniens.

Sa flotte annexe de nombreuses îles grecques, comme Naxos et Délos, l’île où sont nés Apollon et Artémis ! Les Perses sont maîtres de l’Égée, et en 490, une flotte perse débarque sur la plage de Marathon, au cœur de l’Attique, sur le territoire d’Athènes ! Mais l’armée perse est repoussée vaillamment par une armée d’hoplites commandée par Miltiade. Dans son immense palais de Persépolis, Darius fulmine. Les Athéniens et les Spartiates ont exécuté ses ambassadeurs qui réclamaient « la terre et l’eau. » Si les Grecs veulent la guerre, ils l’auront.

Le Grand roi meurt finalement d’une maladie foudroyante, à l’âge de 64 ans. C’est son fils Xerxès qui est choisi pour lui succéder. Reprenant les desseins de son père, il prépare la grande expédition qui doit définitivement mettre fin à l’impudence des Grecs. Il conduira personnellement les opérations. Après 5 années de préparatifs, l’armée est prête, et elle est gigantesque : une flotte de 1200 navires, dirigée par des équipages phéniciens et égyptiens, est chargée du ravitaillement et des combats navals. L’armée de terre, constituée de tous les peuples de l’Empire, compte, selon Hérodote, près de 2 millions d’hommes. Selon les estimations les plus récentes, l’armée du Grand roi devait en fait compter plus de 150 000 combattants, autant d’hommes chargés de l’intendance, et plus de 100 000 animaux en comptant les chevaux et les bêtes de somme. Un véritable pays en mouvement dont l’auteur d’Halicarnasse, dans son Historia, dira qu’elle assécha les fleuves et abattit des forêts à son passage. Une image édifiante.

Comme son père autrefois, Xerxès fait bâtir un pont de navire pour passer en Europe. Il longe le littoral de la Thrace avant de pénétrer chez son vassal, Alexandre de Macédoine, puis passe en Thessalie, tandis que sa flotte immense le suit en cabotant. Devant la simple présence d’une si grande armée, la plupart des Grecs se soumettent sans combattre, préférant la servitude à la destruction. Seule une trentaine de cités, menée par la puissance maritime d’Athènes et les forces terrestres de Sparte, osent s’opposer au Grand roi. Les Spartiates commanderont l’armée de terre et la flotte.

La première bataille aura lieu au défilé des Thermopyles, en septembre 480, où 5 000 Grecs menés par les 300 Spartiates de Léonidas tiendront pendant plusieurs jours face aux myriades de Xerxès. Finalement trahie par un Grec, qui guide les Perses par un sentier, l’armée alliée évacue avant d’être contournée. Le roi de Sparte et ses 300 couvrent leur retraite, massacrés jusqu’au dernier homme par des pluies de flèches. Au même moment, non loin, une terrible tempête éclate au cap Artémision, coulant par le fond le tiers de la flotte perse.

Le lendemain, tandis que Spartiates combattent dans le défilé, une partie de la flotte grecque rassemblée là décide d’agir. Mais malgré l’aide de Poséidon, elle reste trois fois moins nombreuse que l’armada perse. Thémistocle, qui commande les navires athéniens, prend l’initiative. Au lieu d’éperonner et de couler les ennemis, il tente de captures leurs vaisseaux par l’abordage, afin de grossir la flotte grecque. Apprenant la défaite des Thermopyles, les Grecs décident de se replier au sud, près de l’île de Salamine qui fait face à Athènes.

Après les Thermopyles, les forces alliées se replient et décident de fortifier le petit isthme de Corinthe qui barre le passage vers le Péloponnèse, et d’y attendre l’armée perse. L’Attique, et donc Athènes, est de fait livrée à Xerxès. Dans l’urgence, Thémistocle, le brillant stratège athénien, impose des décisions fortes : il fait évacuer les habitants de la cité, dépourvue de remparts sur les îles voisines. Le 28 septembre, l’armée perse investit Athènes. La ville et l’Acropole sont réduites en cendre, les rares résistants, pour la plupart des vieillards abandonnés à leur sort, sont tuées.

Ordre de bataille
(les Perses sont en rouge et les Grecs en bleu)

Rassemblés dans la rade de Salamine qui fait face aux ruines d’Athènes, les chefs grecs débattent de la conduite à tenir, sur le navire du stratège de la flotte alliée, le spartiate Eurybiade. Les plus nombreux optent pour un repli défensif dans l’Isthme, renforçant ainsi les défenses du Péloponnèse. Mais pour Thémistocle, cette option est intolérable : abandonner le détroit c’est livrer la population athénienne, qui s’est réfugiée sur l’île de Salamine, aux mains des Perses.

Par un habile discours, il convainc le stratège de combattre dans le détroit, où, comme aux Thermopyles, le nombre ne compte plus. Mais les alliés sont divisés et Thémistocle va devoir ruser : tandis qu’il parle, l’un de ses esclaves se présente à Xerxès pour lui annoncer qu’une partie des Grecs, terrifiée, veut contourner Salamine par le nord pour rejoindre l’Isthme !

Pensant voir en Thémistocle un nouvel ami parmi les nombreux Grecs de sa suite, Xerxès rassemble ses vassaux et tint conseil. Seule Artémise, la reine d’Halicarnasse qui commande en personne ses navires, tente de dissuader le Grand roi. Mais Xerxès se range à l’avis de la majorité, ordonnant aux trières égyptiennes de barrer la fuite des Grecs par le nord. La bataille aura lieu ici, dans le détroit, sous les yeux du Grand roi des Perses. Sûr de sa victoire, Xerxès fait installer son trône sur un promontoire, savourant à l’avance la terrible défaite qu’il promet aux Grecs. Au crépuscule, la flotte perse barre le détroit. Pour les Hellènes résistants, il n’y a désormais pas d’autres issues que la victoire, la mort, ou pire, l’esclavage.

L’Olympias est une proposition de reconstitution d’une trière grecque telle qu’elle pouvait être du début du Ve siècle av. J.-C., d’après les sources littéraires et l’iconographie connue (peinture sur vases, bas-reliefs, monnaies).

La trière du Ve siècle avant J.-C. : La trière est un navire léger et agile à faible tirant d’eau — un mètre ! — mesurant 35 à 40 m de long pour 5 m de large et pesant environ 90 tonnes, apparues à la fin de la période archaïque, au VIe siècle av. J.-C. Son fond pratiquement plat ne dispose pas de quille, ce qui lui permet d’approcher très près des côtes et d’être facilement mise à l’abri sur les plages ou dans les cales. Sa vitesse moyenne est estimée à 5 nœuds, mais peut connaître une vitesse de pointe à 10 nœuds avec un vent favorable et un équipage frais, sans doute un peu plus lors de l’éperonnage. La coque est en chêne et en sapin, dont la Macédoine est le fournisseur exclusif pour Athènes, recouverte de poix et de cire pour son étanchéité. Héritière de la birème de l’âge de Bronze et proche du pentécontère, elle se distingue de ce dernier par son nombre de rameurs : 170 contre 50, ce qui lui offre une vitesse de pointe bien supérieure lors de l’éperonnage d’un ennemi. C’est un vaisseau don dont la seule destination est la guerre. Elle avance par l’action du vent sur la grand-voile, peut-être soutenue par un mât plus petit à l’avant lors des combats et par gros temps, et par la force des rameurs. Elle dispose à l’avant, près de l’ophtalmos qui repousse le mal, d’un éperon en bronze fixer sur la ligne de flottaison pour éventrer les navires ennemis et les couler. Sur le pont, des hoplites en armes se tiennent prêts à l’abordage avec des échelles, des passerelles et des grappins. Sa force réside surtout dans l’entraînement de son équipage, exclusivement constitué à l’époque classique de citoyens.

Le récit de la bataille nous est conté par Hérodote dans son oeuvre Historia , livre VIII. Au petit matin, un soleil éclatant se lève sur le monde. La flotte grecque, composée de trières et de pentécontères, compte 380 vaisseaux, dont 180 nefs athéniennes. Dès l’aube, les deux lignes se font face. Mais dans cet étroit corridor, les navires perses sont si nombreux qu’ils se gênent pour manœuvrer, comme l’avait prévu Thémistocle, et alors qu’un vent fort vent se lève, soulevant une houle impressionnante, la ligne ennemie, disposée sur trois rangs de profondeur, commence à se désorganiser, tandis que sa première ligne vogue vers les Grecs.

Mais alors que les alliés reculent vers le rivage de Salamine, un navire athénien prend l’initiative et avance seul contre l’ennemi. Au son de l’aulos, les citoyens d’Athènes souquent avec ardeur sur la mer Égée qui blanchit, bouillonne autour des rames, tandis qu’ils crient pour se donner du courage. La trière laisse une traînée d’écume blanche dans son sillage glorieux et sur le pont, les hoplites, revêtus de leurs panoplies de bronze, un panache de cimier rouge flottant sur leurs casques corinthiens, se préparent à l’abordage ou au choc de l’éperonnage. Bientôt l’éperon de bronze qui orne la proue touche la coque, à la vitesse de 10 nœuds, et dans un bruit effroyable de bois fracassé, enfonce le flanc d’un vaisseau phénicien. C’est le moment que choisit la flotte grecque pour attaquer et alors, le péan, le chant guerrier de tous les Grecs, rebondit en écho sur le flot salé de la mer : « Allez, fils d’Hellas, délivrez la patrie, délivrez vos enfants et vos femmes, les sanctuaires des dieux de vos pères et les tombeaux de vos aïeux : c’est la lutte suprême ! »

Sous les regards de Xerxès, les Athéniens affrontent les vaisseaux phéniciens, et les Spartiates combattent les Ioniens à l’extrémité sud de la ligne, ces Grecs d’Asie qui provoquèrent la colère de Darius, vingt ans auparavant. Des nuées de flèches volent des navires perses armés à la légère, face à des contingents d’hoplites qui montent à l’abordage si l’éperonnage échoue. Mais la houle est forte, le roulis puissant et les navires perses, à la poupe et au pont surélevés, tourbillonnement lamentablement, offrant leurs flancs de bois aux petits navires grecs.

Au centre, des trières grecques forment une pointe et coupe la première ligne en deux parties, le propre frère du Grand roi, qui combat héroïquement sur son vaisseau amiral, trouve la mort, son corps flotte lamentablement sur les débris qui flottent çà et là dans le détroit. La confusion est telle que Artémise, pour sauver son navire, éperonne une nef perse pour échapper à la poursuite des Athéniens, qui la prennent alors pour un vaisseau allié. La deuxième ligne perse, voulant s’illustrer devant son Grand roi, se précipite à la rencontre des navires alliés, et dans sa précipitation heurte et coule de nombreux navires de la première ligne en fuite. Avant le milieu du jour, près de 300 navires perses ont été coulés ou capturés, et ce qui reste de la flotte perse s’enfuit au loin. Sur le promontoire, sur l’assise chancelante de son trône d’or, Xerxès assiste, spectateur désolé, à la plus humiliante défaite de son règne. Il s’en retournera en Asie au plus vite, laissant là son armée dans l’espoir de venger cet affront, mais c’est une autre histoire.

Bibliographie :

  • Histoire, Hérodote, Livre VIII.
  • La Grèce classique, Collectif, Chapitre II, collection « Mondes Anciens », Belin éditions.
  • La Grèce au Ve siècle, Edmond Lévy, chapitre I, p.30-33, Éditions du Seuil.

Sources des images :

Osprey Publishing, United States Military Academy (Department of History), Archaeology and Language. The Puzzle of Indo-European Origins (Colin Renfrew), El poder naval de Grecia en el S. V a.C (Illustration de Sandra Delgado Martínez).

Héraklès Citharède est un vulgarisateur passionné par l'histoire et la civilisation de la Grèce antique. Il est actif sur Twitter et achève son premier roman historique. Nous vous encourageons à visiter sa page et suivre son profil.

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