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El_hombre-pájaro – Copy LD

Lors d’une discussion autour d’un verre, d’un café ou bien … d’un chocolat, vous avez sûrement, pour la plupart d’entre vous, eu une discussion sur les civilisations précolombiennes, après avoir vu un documentaire, en revenant de vacances au Mexique, en ayant lu un article dans un quelconque magazine, ou bien même après avoir joué au tout dernier opus de la franchise Tomb Raider.

Des cultures pourtant perçues à travers le prisme occidental avec incompréhension pour certains de ses aspects, comme par exemple le potentiel « excès » de sacrifices humains. D’autres arguments forts participent et persistent toujours et encore au mysticisme, notamment l’existence d’une architecture complexe, voire semblable à celles connues dans le monde oriental.

Quand nous parlons de civilisation précolombienne, j’entends par-là non pas un adjectif qui se rapporterait à un lieu, de là je suis désolé de devoir vous l’annoncer, mais la « Précolombie » n’existe pas. Il s’agit en réalité d’un adjectif qui désigne une culture américaine existant avant l’arrivée de Christophe Colomb en 1492, couvrant l’ensemble des Amériques. Toutefois, ce continent est divisé en plusieurs aires. L’une d’entre elles nous intéresse du fait qu’elle désigne la zone où le protagoniste du livre que nous préparons, Hernan Cortés, arrive avec ses sbires en grand conquérant, au nom de la Couronne d’Espagne, à savoir la Mésoamérique.

Paul Kirchhoff sera l’un des premiers à poser véritablement les bases d’une définition de cette aire qui, je le rappelle, pour l’époque était totalement floue. L’ancienne dénomination de cette zone était « Mexique et Centre-Amérique », ou encore « Nord-américain » ou Middle America pour certains anthropologues. C’est là que sont nées les cultures qui en sont les plus emblématiques, telles que les Olmèques, les Mayas et les Aztèques pour ne citer qu’eux.

Les Incas par contre n’ont rien à faire dans cette partie du monde, car issus des civilisations andines antérieures. Nous les retrouvons au Chili, en Argentine, en Bolivie, au Pérou et en Équateur, mais c’est une toute autre histoire.

Paul Kirchhoff
(1900-1972)

Historiographie de la Mésoamérique

Le premier à s’être intéressé aux récurrences culturelles fut un certain Antonio de Leon y Gama (1735 – 1802), éminent chercheur, mathématicien, astronome, géographe et archéologue, qui mena une étude dans ce domaine, notamment sur les monolithes de Coatlicue et de la Piedra del Sol.

En 1943, Paul Kirchhoff proposa une définition qui mit les spécialistes d’accord jusqu’à aujourd’hui, avec des exemples marquants tels que la consommation du cacao, le pulque, ou bien l’existence d’une écriture glyphique, de deux systèmes calendériques, la construction de pyramides, de système palatial, du terrain de jeu de balle, entre autres éléments d’une liste de 90 traits culturels. Cette définition connut des modifications dans le temps, mais l’homogénéité de ces éléments a permis de différencier l’aire mésoaméricaine de ses voisines.

À partir des années 1960-1970, on s’interrogea davantage sur les liens entre ces différents traits, comme l’utilisation du caoutchouc dans le jeu de balle et par extension à l’architecture du terrain de jeu, ou encore à propos du maïs comme évoquant les pratiques à la fois agricoles et religieuses (sacrifice humain).

Mais on doit l’évolution récente de cette définition par de nouvelles études impliquant les sciences dures, notamment avec les premières recherches moléculaires, microbiologiques, sismologiques et volcaniques, avec de nouvelles données générées par les satellites sur la localisation et les accessibilités des modèles d’établissement.

Ainsi, notre aire se constituerait de la moitié méridionale du Mexique, du Bélize, du Guatemala, du Salvador, de l’ouest du Honduras, du nord-ouest du Costa Rica et du versant Pacifique du Nicaragua s’étendant sur 912 500 km², avec 3000 km de côtes.

L’aire mésoaméricaine

La géographie mésoaméricaine

La géographie du territoire mexicain possède un plan contrasté et développé notamment sur trois zones : 

  • Au centre, de hauts plateaux se trouvent sur un axe néo-volcanique, situé entre les côtes du golfe du Mexique et l’océan Pacifique, généralement à une altitude de plus de 4000 m, ainsi que deux volcans endormis dominant les hauts bassins de Mexico et de Puebla : le Popocatepetl et l’Iztacihuatl. 
  • À l’est et au sud-est : une zone s’étendant sur 200 km, à savoir l’isthme volcanique de Tehuantepec.
  • À l’ouest, les reliefs marqués de la Sierra Madre du Chiapas (2950 m d’altitude). 

Le climat mexicain est complexe. Les vastes régions montagneuses et de hauts plateaux influenceraient, semble-t-il, la répartition des climats sur l’ensemble du territoire, notamment la température, les précipitations et la circulation de l’air. Par conséquent nous retrouvons une variabilité climatique sur l’ensemble du territoire, passant du tropical humide au désertique, du montagnard au continental plus froid.

La zone maya (au sud) se décline en différentes régions dont le climat varie de tropical à subtropical. Les régions du nord sont semi-arides alors que le Chiapas et du sud du Yucatán connaissent un fort taux d’humidité. Par ailleurs, la forte influence dominant l’ensemble du Mexique est sans conteste celle des océans, à la fois chaud et humide, notamment dans la moitié sud. Le Mexique possède une grande péninsule calcaire dans ces trois États : le Campêche, le Yucatán et le Quintana Roo.  

Au sud se situent les hautes terres, à plus de 2000 m d’altitude, où se développèrent d’autres sociétés mayas interagissant avec celles des basses terres.

Ces dernières englobent différents milieux naturels, dont des forêts tropicales, au sein du Petén jusqu’aux États du Chiapas et du Tabasco, s’étalant vers les côtes caribéennes à l’est, au Bélize et Honduras. Les montagnes mayas, dont les reliefs atteignent une altitude de 800 m, séparent le Guatemala du Bélize. Il s’agit du seul massif granitique dans le vaste plateau calcaire karstique de la péninsule du Yucatán. Le climat présente une saison des pluies de mai à octobre, qui engendre une pluviométrie abondante, en moyenne de 1500 à 3000 mm/an, favorisant l’épanouissement d’une faune et d’une flore riches, permettant une agriculture florissante. Dans les basses terres du nord règne un climat plus sec, sur un plateau calcaire poreux, à la végétation basse en raison d’un régime de pluie inférieur à 1000 mm/an et à l’inexistence de rivières. La région Puuc fait exception : ce territoire, qui couvre 6000 km², est très fertile et, pour pallier l’absence d’eaux de surface, des citernes souterraines ont été creusées à partir du VIIe siècle pour stocker l’eau des pluies (chultunes) – bien qu’il ait été possible d’atteindre les nappes phréatiques situées à une trentaine voire une soixantaine de mètres sous terre, par un système de réseaux karstiques. 

Le volcan Popocatepetl
(Photo : Luisalvaz)

Histoire de la Mésoamérique

Avec les précédents points que nous avons entrevus, nous comprenons que la Mésoamérique est une aire culturelle localisée au Mexique et sur une partie de l’Amérique centrale, partageant un très grand nombre de caractéristiques, mais conservant toutefois leurs spécificités propres. Cette notion peut déjà être « aperçue » vers le XVe siècle av. J.-C.

Au Préclassique ancien et moyen, datant du IIIe millénaire au VIe siècle av. J.-C., la Mésoamérique connut les premières sociétés agraires avec la sédentarité en place, rendue possible grâce à plusieurs formes de ressources alimentaires stables, mais limitées, notamment avec la domestication des chiens, des dindons et des abeilles. En parallèle, grâce à une incroyable connaissance de l’agriculture, aux alentours du IXe millénaire av. J.-C., mais surtout dès 2000 av. J.-C., apparut la « manipulation génétique » et donc la domestication des plantes : le maïs, les haricots, la courge, la tomate, les piments et l’avocat. C’est au cours de ce même millénaire que se développa le système des chefferies, dû à la sédentarité et surtout aux changements démographiques.

Le Préclassique récent et final (500 av. J.-C. – 250 apr. J.-C.) fut marqué par la création de villages et de centres politico-religieux, occupant de plus en plus les rives des lacs et aux pieds des volcans, vivant également avec un système d’horticulture performant, nous parlons des chinampas, ainsi que des ressources lacustres et sylvicoles avec l’acquisition des denrées exogènes à travers les multiples réseaux d’échanges de courtes ou longues distances.

Mais cet équilibre se vit brusquement interrompu lors d’une période d’instabilité provoquée par l’activité volcanique (Popocatepetl) de la région centre et ouest du Mexique durant le Ier siècle av. J.-C. Il est à noter que le volcanisme est actif dans l’axe transmexicain et qu’il y eut de nombreuses éruptions dès la fin de l’Holocène, créant un paysage minéral, que l’on nomme malpais, notamment au Michoacán, où la végétation est rare. Une réorganisation sociale se fit donc entre l’habitat et la mise en place d’une économie d’exploitation minière.

L’ensevelissement du site de Cuicuilco, qui devint ainsi la Pompéi mésoaméricaine, provoqua une nouvelle réflexion territoriale, redistribuant ainsi les cartes et favorisant l’essor de Teotihuacan, qui fonda son économie sur l’exploitation de l’obsidienne dès le IIe millénaire av. J.-C.

Le Classique ancien (250 – 600), récent (600 – 800) et terminal (800 – 950) ont été des périodes qui, selon les recherches actuelles, furent celles des Mayas. Mais n’ayez crainte nous verrons tout cela en temps et en heure lors d’un prochain article.

Nous arrivons dès à présent dans une période transitoire, que l’on nomme Épiclassique (du VIIe au Xe siècle). Nous nous retrouvons avec des sociétés changeantes, aux institutions se déconstruisant et avec l’apparition de nouveaux sites, dans une compétition politique et conquérante des territoires.

Ainsi, nous voyons un changement à la fois progressif et radical, comme l’implantation des centres civico-cérémoniels de plus en plus monumentaux, se délocalisant sur les hauteurs. S’ensuivit l’apparition de places fortes (à but défensif, mais servant une idéologie, mais aussi comme marqueurs hiérarchiques et territoriaux), d’acropoles et de corporations marchandes avec circulations des biens sur de longues distances, entre le plateau central, l’ouest, la côte du Golfe, la zone maya, jusqu’au Honduras.

Pendant le Postclassique ancien (900 – 1200 apr. J.-C.), après des décennies de recherches, il apparaît finalement que ce sont des sphères culturelles qui communiquaient entre elles au fur et à mesure dans un processus d’échanges, créant peu à peu des réseaux d’échanges matériaux, des objets et informations de plus en plus vastes et affirmés.

Stèle maya
(Institute of Art of Chicago)

Conclusion

Enfin, lors d’un prochain numéro j’évoquerai quelques points sur l’apparition de deux puissances hégémoniques du Postclassique tardif, les Aztèques et les Tarasques.

En vous laissant ainsi sur ce cliffhanger, je vous souhaite une bonne digestion de ces informations et à très vite pour une nouvelle aventure mésoaméricaine.

Sources :

  • Aurélie Boissière, Brigitte Faugère, et Nicolas Goepfert, Atlas de l’Amérique précolombienne : du peuplement à la conquête. Collection Atlas-mémoires, Éditions Autrement, Paris :

Brigitte Faugère, Les premières sociétés agraires : le Préclassique ancien et moyen (2000-500 av. J.-C.), pp. 18-19 in

Véronique Darras, Le préclassique récent et final : Centre et Ouest du Mexique (500 av. J.-C. – 250 apr. J.-C.), pp.24-25, in

-Juliette Testard, L’Épiclassique (600 à 900 apr. J.-C.) : Compétition, interactions et hybridations, pp.32-33, in

Juliette Testard, Le Postclassique ancien (900-1200 apr. J.C.) : Mésoaméricanisation et émulations, pp.42-43, in

Grégory Pereira, Aztèques et Tarasque, Puissances hégémoniques du Postclassique, pp.46-47, in

Véronique Darras et Stéphen Rostain, Dangers et bénéfices du volcanisme, pp.50-51, in

  • Manuel GándaraA Short History of Theory in Mesoamerican Archaeology, in Deborah L. Nichols (éd.), The Oxford Handbook of Mesoamerican Archaeology, Oxford University Press, pp. 31-46.
  • Heraud-Piña Marie-Anne, Le karst du Yucatan : Pays des Mayas, Le karst du Yucatan : Pays des Mayas. À la croisée des sciences, Presses Universitaires de Bordeaux, Pessac.
  • Eric Taladoire, L’aventure Maya: découvertes du XVIe au XXIe siècle, Les Éditions du Cerf, Paris.
  • Eric Taladoire et Brigitte Faugère-Kalfon, La Mésoamérique: archéologie et art précolombiens, Réunion des musées nationaux, Paris
  • Eric Taladoire et Patrice Lecoq, Les civilisations précolombiennes, Presses universitaires de France, Paris
Master 2 en Archéologie Mésoaméricaine à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et niveau 2 Mésoamérique à l'INALCO

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